L'ami allemand by Kanon Joseph

L'ami allemand by Kanon Joseph

Auteur:Kanon, Joseph [Kanon, Joseph]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 2266139959
Éditeur: Pocket
Publié: 2016-06-22T14:03:26+00:00


La salle d’audience donnait une impression d’improvisation, comme si les Russes avaient planté le décor sans savoir où placer les accessoires. Leur programme de dénazification se résumait à des exécutions, pas à des procès. Celui d’un Greifer étant un cas à part, ils avaient réquisitionné une salle près de l’ancien quartier général de la police sur Alexanderplatz, dressé une estrade en bois blanc pour les juges, et réservé aux journalistes quelques rangées de chaises pliantes qui grinçaient chaque fois que l’un d’eux se penchait pour tendre l’oreille. Les avocats des parties civiles et leurs conseillers du gouvernement allié se serraient à une table, en position de force face à l’avocat de la défense et à son unique assistant, seuls à une autre table. Alignées contre un mur, plusieurs femmes-soldats soviétiques établissaient à l’aide de sténotypes les minutes du procès, qu’elles tendaient au fur et à mesure à deux jeunes filles en civil pour les faire traduire.

Le procès se déroulait en allemand, mais le président et ses deux assesseurs, des officiers couverts de décorations qui feuilletaient les dossiers en dissimulant mal leur ennui, ne comprenaient visiblement presque rien. C’est pourquoi les avocats des parties civiles, en uniforme eux aussi, traduisaient en russe les temps forts de leur réquisitoire. Il y avait également un fauteuil en bois pour les témoins, le drapeau soviétique, et pas grand-chose d’autre. Un cadre digne des procès de l’Inquisition, plus dépouillé encore que celui des tribunaux du Far West dans les romans de Karl May. Pas la moindre robe déjugé ou d’avocat en vue. Tout le monde était fouillé à l’entrée.

Renate se tenait debout derrière une balustrade en contreplaqué qui ressemblait à une cage, face à l’assistance, comme si l’expression de son visage durant l’audience devait constituer une preuve supplémentaire. Légèrement en retrait, deux soldats armés de mitraillettes ne la quittaient pas des yeux, impassibles. D’après Bernie, elle avait changé, mais Jake la reconnut aussitôt malgré sa maigreur et cet air hagard qu’on voyait partout à Berlin. C’était bien Renate, les cheveux désormais coupés ras et prématurément blanchis. Elle portait l’ample robe grisâtre des prisonnières, serrée à la taille par une ceinture, qui laissait voir ses clavicules saillantes, et son visage – si joli et mutin dans les souvenirs de Jake – semblait défait, presque défiguré par l’existence. Mais elle avait gardé ses yeux perçants, qui scrutaient à présent le public avec défiance, toujours à l’affût d’une information utile, même en ces lieux. Comme du temps où elle identifiait les Juifs.

Elle aperçut immédiatement Jake, haussant les sourcils sous l’effet de la surprise, qui fit vite place à la perplexité. Un ami assis à la table de ses accusateurs ?

Pour témoigner contre elle ? Que pourrait-il dire ? Une fille au sourire charmeur et qui n’avait peur de rien, allant jusqu’à mendier une cigarette à un nazi sur un quai de gare. Un regard aigu, habile à repérer une proie possible dans la rue. De nouveau, Jake se demanda comment elle avait pu en arriver là. La fameuse question, qui revenait sans cesse.



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